Lorsque vous parlez de votre travail de contrôleur aérien, il y a deux choses qui reviennent souvent sur la table: « ça doit être stressant » et « vous n’avez pas droit à l’erreur! ». Le problème ? Nous sommes humains et donc faillibles comme le dit si bien le dicton. De cette réalité découlent ce que nous appelons les « Facteurs Humains ».
Les facteurs humains, les origines
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de faire un petit bout d’histoire. A la fin de la seconde guerre mondiale, l’aéronautique a donné naissance au réacteur. Cette technologie initialement militaire va petit à petit migrer vers le civi. Elle donne naissance aux premiers avions de lignes à réaction comme le Comet, le Boeing 707, etc…
L’adoption de cette nouvelle technologie entraine une chute spectaculaire des statistiques d’accidents. Le problème se pose après quelques années. Malgré la généralisation de cette invention et une forte diminution des accidents, leur nombre se stabilise sans être pour autant nul. Dans un soucis d’améliorer encore la sécurité des vols, des experts se penchent alors sur les causes d’accidents résiduels. Les conclusions sont souvent: erreur humaine. Ce constat va alimenter tout un tas d’études, d’enquêtes et d’expérimentations. Elles vont mettre à jour les faiblesses de l’être humain. Il peut s’agir de sa façon de penser, de sa physiologie, de l’emprise de sa culture, etc…
Les Facteurs Humains [1] sont nés et vont permettre de faire diminuer à nouveau le nombre d’accidents.
Quelques exemples concrets de « facteurs humains »
Évitons la théorie et évoquons directement quelques exemples concrets pour illustrer ces fameux « facteurs humains ».
Le rapport d’autorité
Le rapport d’autorité apparait comme une cause d’accident dans différents cas. Il se manifeste, par exemple, dans le cas où celui qui commet la faute dispose d’une solide expérience voire apparaît comme un expert auprès de ces pairs. La personne se trouvant au côté d’une telle personne a une tendance naturelle à croire que c’est son propre jugement qui est en cause alors qu’il n’en est rien. Si celui qui doute fait part de son doute, il y a une chance d’éviter l’accident. Si, par contre, il se résigne, convaincu d’être dans l’erreur, la catastrophe peut se produire.
Ce rapport d’autorité apparait aussi dans certaines cultures où «l’ancien» est respecté. Dans ce cas, malgré l’absence d’expertise réelle, l’avis de l’ancien sera considéré comme valide car il n’est pas concevable de contester un ancien. Encore une fois, si quelqu’un coopère avec cet ancien mais n’est pas assez «courageux» pour contester son avis (ou simplement faire part de ses doutes), la catastrophe est potentiellement là. A l’inverse la simple évocation des doutes pourraient révéler à l’ancien sa propre erreur. Il reste encore à cet ancien à l’accepter. Son refus pourrait faire persister le risque d’accident.
La fatigue
Si le rapport d’autorité évoque des mécanismes psychologiques, la fatigue rejoint plutôt la physiologie humaine. Différentes études menées un peu partout dans le monde et à différentes époques ont montré les dangers de la fatigue. Le premier danger réside dans les risques de somnolence voire de sommeil. Typiquement, il faut penser au conducteur qui prend le volant malgré sa fatigue et qui s’endort en roulant. La transposition directe est tout à fait possible aux pilotes ou aux contrôleurs aériens.
Le deuxième danger est plus insidieux puisqu’il ne va pas provoquer une somnolence mais juste une hypo-vigilance semblable à une absorption d’alcool. Cette perte de vigilance peut induire des erreurs parfois sans conséquence mais d’autres fois… Ce phénomène est typiquement l’un des dangers des travailleurs nocturnes.[2] [3]
Les substances dites «psycho-actives»
Dans ces substances, nous trouvons les drogues (cannabis, cocaïne, etc..) mais aussi les médicaments qui pourraient avoir un effet sur la vigilance[4]. Les drogues engendrent des effets souvent connus : coupe faim, sentiment de toute puissance, réduction de la fatigue, désinhibition, etc… Ces substances sont à proscrire d’une manière générale dans les activités aéronautiques. Les consommateurs occasionnels doivent être extrêmement vigilants car certaines substances sont stockées dans les graisses et peuvent se retrouver libérées lors d’un pic de stress… Une combinaison qui laisse songeur et qui encourage à ne pas y toucher pour éviter tout problème.
Par contre, il semble difficile d’éviter les médicaments… Il devient alors important de bien se connaître et d’avoir un bon médecin au fait des risques. Un médecin avec une spécialité de médecine aéronautique semble pas mal. Habilité à délivrer les aptitudes médicales des pilotes privés, il a de grande chance de savoir dans quelle mesure la prise de tel ou tel médicament représente un risque.
Pourquoi «bien se connaître» ? Parce qu’au delà des prescriptions du médecin -même soigneusement étudiées- chaque individu tolère plus ou moins bien les substances : un individu peut parfaitement ne pas avoir de somnolence avec un médicament dont c’est un des effets secondaires alors que son voisin a l’impression d’être «assommé» par ce même médicament. [5]
Les illusions sensorielles, l’un des facteurs humains moins connu
Voilà un domaine passionnant. En effet, se pencher sur ce domaine revient à découvrir les formidables capacités d’adaptation de notre cerveau mais aussi les limites de ce dernier et des mécanismes qu’il utilise pour gérer les informations. L’un des exemples les plus connus d’illusion d’optique est cette figure :
Les deux carrés de taille identique paraissent pourtant différents. Cette différence découle de la façon de percevoir les couleurs, les contrastes, etc… Un autre exemple un peu moins connu mais très intéressant est celui ci :
ROUGE VERT BLEU JAUNE VERT BLEU ROUGE JAUNE BLEU
JAUNE VERT ROUGE VERT BLEU BLEU ROUGE JAUNE BLEU
Essayez de donner oralement la couleur des différents mots… Vous verrez que vous aurez tendance à lire le mot (un nom de couleur) plutôt que la couleur dans laquelle est écrite le mot… Les parties du cerveau sollicitées sont différentes et interfèrent. Voilà le genre d’exemple qui peut permettre de comprendre pourquoi l’ergonomie devient importante lorsque la sécurité est en jeu. D’une manière générale, les illusions d’optique sont légions et de nombreux sites en traitent avec des exemples parfois surprenants. Si vous voulez, vous pouvez déjà tester : le site Effet-Papillon et le site d’un TPE sur les illusions d’optique.
Pour continuer à approfondir le sujet…
Si vous souhaitez en savoir plus sur les «Facteurs Humains» (ou FH si vous voulez frimer une peu), il existe un grand nombre de livres sur le sujet… Si vous recherchez un livre plutôt orienté «vulgarisation» comme ce site, je vous invite à lire le livre ci-dessous : plutôt concret et complet sans être trop compliqué. Un bon moyen de tordre le cou à la Loi de Murphy (et de soutenir ce site si vous l’achetez en cliquant sur le lien ci-dessous)[6]
- [1]Souvent évoqués par les « pros » par l’abréviation F.H. ↩
- [2]Les media font leurs choux gras des contrôleurs endormis pendant que des avions essaient de se poser sur leur terrain. Nous avons droit régulièrement à un épisode de ce type dans le monde mais il y a peu de chance que ça ne s’arrête.↩
- [3]Le NTSB, dans un crash récent, a déterminé que la «fatigue excessive» de l’équipage avait contribué à l’accident (je mets la référence dès que j’aurais pris le temps de la rechercher ;).↩
- [4]Ceux-ci font l’objet d’une signalétique claire sur les emballages.↩
- [5]La brochure de l’AFSSAPS fait référence à un risque d’accident multiplié de 2 à 5 fois lors de la prise de médicaments entraînant des effets sur la vigilance↩
- [6]Rassurez vous, ce site continuera à vivre même sans cela :P↩