Nous avons survolé dans un précédent article la notion de facteurs humains. Approfondissons un peu plus en évoquant un modèle aujourd’hui célèbre dans la culture aéronautique : le modèle des plaques de Reason
Différents types de logique
La logique cartésienne consiste à considérer qu’un problème n’est que la somme de sous problèmes élémentaires qui peuvent être résolus indépendamment. Cette forme de logique se révèle fondamentale dans des problèmes mathématiques par exemple.
La logique systémique diffère en considérant un système comme un ensemble d’éléments interdépendants. Dans cette logique, il est impossible de résoudre un problème sans le traiter dans sa globalité. Cette forme de logique s’applique à tous les domaines traitant du vivant : biologie, psychologie, etc…
La logique cartésienne reste la plus connue du grand public… Elle revêt un caractère rassurant car elle permet une analyse assez simple voire simpliste. La logique systémique rend les analyses très complexes et plutôt qu’une réponse, elle apporterait, en général, un ensemble de possibilités.
L’aéronautique implique de nombreux acteurs (compagnies aériennes, services du contrôle, pilotes, mécaniciens, météorologues, etc.) constituant ainsi un ensemble complexe qui ne peut se satisfaire d’une logique cartésienne. Ce sera donc bien une logique systémique qui s’appliquera à notre domaine et c’est le sens de la modélisation pensée par Reason.
Reason, c’est qui ou quoi ?
James REASON est un professeur de psychologie anglais qui a enseigné à l’université de Manchester de 1977 à 2001. Aujourd’hui il poursuite sa carrière en qualité de chercheur et de consultant pour de nombreuses organisations [1].
Ces œuvres sont aujourd’hui des références en matière de facteurs humains et son modèle des plaques se retrouve dans tous les cours traitant de la sécurité.
Les plaques de Reason
J. Reason a proposé un modèle simple pour illustrer la complexité de l’enchaînement des évènements pouvant amener à un incident ou un accident : une série de plaques trouées… La simplicité de l’analogie rend l’idée géniale : chaque maillon de la chaîne de sécurité est modélisé par une plaque et un trou dans cette plaque symbolise une faille dans la sécurité : manque d’entraînement, d’expérience, mauvaise pratique, connaissances insuffisantes, mauvais entretien d’un système, etc…
Si les plaques sont mises en perspective, il y a deux options :
- il n’y a pas d’alignement des trous, signe que l’une des plaques au moins à joué le rôle de « sécurité » : aucun incident/accident ne se produit.
- il y a alignement des trous et malgré tous les éléments susceptibles d’empêcher un incident/accident, aucune sécurité n’a pu l’empêcher…
Les plaques de Reason, et après ?
Les plaques de Reason conceptualisent bien le principe d’enchaînement de défaillances amenant à un incident/accident mais elles ne résolvent rien. Elles ne sont qu’une façon claire d’illustrer ce concept de « chaîne de sécurité » . Chaque maillon doit alors recenser les risques inhérents à son activité et tenter de trouver des parades pour limiter la taille et le nombre des « trous » de ses plaques tout en restant assez lucide pour comprendre que jamais[2], il ne sera possible de tous les faire disparaître. Ce travail pro-actif pour limiter les risques doit être permanent et parfois devenir transversal pour impliquer plusieurs maillons en interaction étroite.
La meilleure illustration de cette composante « transversale », ce sont les C.R.M. [3] (Cockpit Ressource Management) qui se limitaient au départ au « Cockpit » pour finalement s’étendre à l’équipage entier (« Crew »).
Bien des années après les pilotes, les contrôleurs aériens goûtèrent aux joies du TRM (Team Ressource Management), la transposition du CRM au monde du contrôle aérien. Aujourd’hui, le maintien de compétences et la formation initiale des contrôleurs aériens intègrent un module « FH » pour « Facteurs Humains » et les plaques de Reason y figurent en bonne place.
- [1]le NATS, les services anglais de la navigation aérienne font partie des organisations pour lesquelles il travaille.↩
- [2] Le jamais a son importance puisqu’il rejoint le principe de base que le risque 0 n’existe pas… Statistiquement, il y a toujours une chance d’arriver à l’accident.↩
- [3]Les CRM ont ouvert la voie aux Facteurs Humains en mettant en exergue, les problèmes de fonctionnement au sein d’un équipage : incompréhension, rapport d’autorité, etc. Ils permirent aussi de recommencer à réduire les statistiques d’accidents.↩