Du 27 au 31 janvier, le contrôle aérien devrait être impacté par des journées de grèves. L’impact devrait être maximal les 29 et 30 janvier dates auxquelles le mouvement sera européen. Le projet en ligne de mire reste le plan de performances RP2 et le volet 2+ du ciel unique européen.
Des grèves fin janvier !
Il faut préciser qu’il s’agit de plusieurs grèves car les syndicats nationaux et européens avancent en ordre dispersé. L’ETF [1] appelle à une journée de mobilisation le 30 janvier évoquant une dizaine de pays impactés tandis que l’ATCEUC[2] invite à un débrayage le 29 janvier… Cette dispersion européenne étonne sans étonner mais la déclinaison française a de quoi surprendre encore plus : la CGT, membre d’ETF appelle à suivre le préavis de l’ETF mais l’UNSA-ICNA qui en est également membre n’appelle pas à la mobilisation, considérant que le gouvernement français a déjà montré des signes forts allant contre la mise en oeuvre du RP2[3]. Côté SNCTA, il appelle carrément à une « action » du 27 au 31 janvier, bien au délà du seul créneau du 29 janvier de l’ATCEUC dont il est membre.
Quelles en sont les raisons ?
Déjà, fin octobre, une grève avait impacté le trafic aérien sur le même sujet : révision des objectifs du RP2 et abandon du SES2+. Selon sa sensibilité, à l’époque, chaque syndicat avait réagi à sa manière : grève pour l’UNSA-ICNA, retrait du préavis pour le SNCTA, l’ATCEUC ayant eu un discours apaisant de la commission européenne et manifestation à Bruxelles pour l’ETF…
D’une manière générale, le leitmotiv reste le même mais, depuis, il est apparu à certains que la soit-disant ouverture au dialogue de la commission n’en était pas une. En outre, les gouvernements allemands, français, espagnols et italiens ont notifié au commissaire européen en charge du transport Siim Kallas leurs réserves quant aux objectifs du RP2 et du volet 2+ du programme Ciel Unique Européen (Single European Sky).
Les objectifs du RP2 de réduction drastique des coûts sont jugés irréalistes par beaucoup même parmi les « bons élèves européens » comme l’Allemagne. Cette réduction qui atteindrait les 20% à l’horizon 2019 pose de nombreux problèmes comme celui de la modernisation et de l’harmonisation des systèmes. En effet, la mise en place du Ciel Unique européen (SES) comprend un volet technologique : SESAR (Single European Skym ATM Research) or ce programme reste, à ce jour, dans sa phase expérimentale et les prochaines années seront cruciales pour la validation des concepts qui en auront émergés. Il faudra surtout disposer des moyens suffisants pour les implémenter dans les systèmes actuels… Demander des réductions drastiques au moment où il y a clairement de gros besoins d’investissements en R&D risque de s’avérer contre-productif en amenant une stagnation « technologique » or les dernières grosses améliorations de capacités découlent toutes d’un saut technologique : nouveaux matériels, nouveaux logiciels (IHM), nouvelles normes découlant d’avancées dans la précision de la navigation (RNAV et RVSM), etc.
L’externalisation de certains services [4] n’entraînera pas forcément de baisse des coûts :certaines externalisations passées ont ainsi montré qu’il n’est pas rare que les coûts augmentent pour finir par être plus élevés qu’à l’époque où le service était rendu en interne. Le principal gain réside souvent dans la flexibilité du service rendu : le prestataire doit s’adapter aux besoins variables du donneur d’ordres même s’il ne faut pas oublier qu’au quotidien, il y a une rigidité plus forte[5]…
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur le paquet SES2+ également mais un seul post de blog n’y suffirait pas. Beaucoup disent que les contrôleurs aériens s’opposent au ciel unique ce qui n’est pas le cas, ils ne font que s’opposer à la vision essentiellement économique qu’en a la commission européenne. Il faut rappeler que depuis plusieurs décennies, les aviations civiles européennes coopèrent régulièrement pour harmoniser et optimiser les routes, les espaces, etc. Aucun angélisme cependant ! Cette coopération s’avérait loin d’être parfaite et justifiait largement un projet « européen » encore faudrait-il qu’il ne se limite à un volet purement financier largement influencé par le lobby des compagnies aériennes[6]. Comme l’indique d’ailleurs l’ATCEUC dans son communiqué de presse, il ne serait pas idiot de considérer la partie performances également sous l’angle de la sécurité et en évitant de se limiter à utiliser cet argument comme un simple artifice marketing…
… à la problématique française.
La situation française renforce encore un peu plus la dangerosité des objectifs RP2 et d’un éventuel paquet SES2+.En effet, la France accumule un retard préjudiciable[7] dans le domaine ATS : les systèmes actuels (ODS) sont, en partie, dépassés et ne seront pas remplacés avant deux ou trois ans si nous écartons l’idée de retards supplémentaires dans le développement du remplaçant 4-Flight. Le système EEE ne peut être qu’un palliatif, ce dernier n’étant pas compatible avec le nouveau système de traitement de plans de vol CoFlight sans développements complémentaires[8].
Au delà des besoins de modernisation de la DSNA et donc des investissements induits, il convient également de rappeler que le principe de « recouvrement des coûts » a été abandonné au début de la crise… Auparavant garant que le système ne serait pas longuement déficitaire [9], le recouvrement des coûts présentait effectivement l’inconvénient d’augmenter les redevances pendant les périodes difficiles. Par contre, plutôt qu’un abandon pur et simple, il eut été plus prudent de permettre de constituer un « fond de roulement » lors des périodes fastes qui aurait pu être grignoté lors des périodes de disette… Il n’en a jamais été question et rien n’indique que ça ne le sera dans les années futures. Cette option a fait grimper l’endettement de la DGAC à 1.2 milliards d’euros[10] non sans provoquer une certaine amertume chez les personnels subissant successivement la RGPP, la MAP, le gel du point d’indice, le tout en devant continuer à assurer un service « de qualité »[11] avec des moyens techniques obsolètes…
A ces deux précédents points s’ajoutent également les prévisions « optimistes » sur l’évolution du trafic qui plombent les résultats car irréalistes. La croissance de 1% prévue pour 2013 n’a ainsi pas été atteinte nécessitant des gels de dépenses successifs pour tenter d’éviter un exercice qui finirait dans le rouge. Cette politique s’avère d’ailleurs critiquée par la Cour des Comptes dans son dernier rapport.
Les prochaines années « fastes » seront bien utiles pour moderniser le système de gestion du trafic aérien et pour désendetter la DGAC… Il est donc aisé de comprendre que les objectifs du RP2 provoquent de nombreuses inquiétudes chez les personnels. Rappelons également que les difficultés rencontrées par la compagnie nationale poussent les politiques à la protéger. Ainsi, les demandes répétées d’augmenter les redevances qui toucheraient majoritairement ses concurrents ont été refusées par ces derniers qui, dans une schizophrénie surprenante, n’ont pourtant pas hésité à l’handicaper un peu plus vis à vis de la concurrence étrangère en augmentant la fameuse taxe « Chirac » sur les billets d’avion.
La combinaison d’une situation française délicate avec une pression européenne manifestement déconnectée des réalités du secteur et dénoncée même par les plus volontaires [12]ne peut que mener à une situation explosive et à des mobilisations fortes. Cette orientation est d’autant plus regrettable que de nombreuses compagnies aériennes restent, crise oblige, dans des situations économiques délicates. Bref, l’entêtement d’une commission européenne en fin de mandat pourrait finalement s’avérer préjudiciable à l’intégralité du secteur aéronautique.
[MAJ] Selon diverses sources, il semblerait que le SNCTA retire son préavis ce qui ne laisserait que le 30 janvier comme jour de grève. Le gouvernement français n’aurait apparemment pas l’intention d’accepter RP2 compte tenu des conséquences désastreuses sur la DGAC et de l’impossibilité qui en découlerait de faire les investissements absolument nécessaires à sa modernisation. Il reste à voir si, le 4 février prochain, la France et ses « alliés » seront capables d’imposer leur point de vue. A suivre donc…
[MAJ2] En date du 24 janvier, la CFDT a annoncé qu’elle appelait à la grève le 30 janvier prochain rejoignant là le mouvement de l’ETF dont elle est membre.
- [1]Syndicat européen regroupant les syndicats du « Transport » et comptant dans ses membres, en France, la CGT, la CFDT et l’UNSA par exemple.↩
- [2]Regroupement de syndicats corporatistes dont le SNCTA pour la France.↩
- [3]Et surtout que la balle est maintenant dans le camp de la DGAC et du politique français.↩
- [4]La météorologie ou la maintenance font partie des domaines dont la commission européenne souhaiterait l’externalisation↩
- [5]Par exemple, sur la partie « pilotes d’échos radar », c’est à dire les gens qui jouent le « rôle » des avions dans les simulateurs de contrôle, l’externalisation a amené des rigidités plus fortes au quotidien (quota d’heures minimal, etc.). En contrepartie, il est possible de s’adapter facilement aux besoins de formation.↩
- [6]Il n’est pas choquant de voir les compagnies aériennes défendre leurs intérêts mais cela ne doit pas se faire au détriment de tout le reste : sécurité des vols, des populations survolées, etc…↩
- [7]Par exemple, la France n’a pas su se mettre en conformité pour l’Implementing Rule (IR) sur le DataLink (liaison numérique entre le sol et l’avion) ce qui pourrait lui valoir des sanctions financières éventuellement.↩
- [8]Sans compter également les développements de fonctionnalités complémentaires pour couvrir l’ensemble des besoins français.↩
- [9]à l’époque où il ne l’était de toute façon que très rarement !↩
- [10]Dans son dernier rapport, la Cour des Comptes remet sur le tapis un vieux serpent de mer : le passage sous statut d’Etablissement Public (EPA ou EPIC même si, selon les syndicats seul l’EPIC serait compatible avec l’activité « contrôle aérien »). Vu que la CdC préconise cela à l’horizon 2015, il y a fort à parier que l’un des angles d’attaques pourrait être une annulation de la dette contre cette évolution structurelle un peu comme ce fut le cas pour faire passer la privatisation d’Air France en son temps. Les contribuables que nous sommes apprécieront…↩
- [11]Les guillemets viennent de certaines critiques de pilotes qui jugent comme relativement moyenne la qualité du service de contrôle rendu en France. Il est finalement à l’image de son coût…↩
- [12]Seul le NATS britannique semble prêt à affronter les objectifs RP2. Espérons qu’ils ne connaîtront pas trop de pannes techniques comme celle de l’année dernière… 😉↩