Malgré son titre, ce billet ne se veut pas politique… Il s’agit juste d’une interrogation personnelle sur l’avenir du contrôle aérien français…
Pessimisme ? Difficile à dire mais force est de constater le contrôle aérien français ne se porte pas très bien et aucune amélioration ne pointe à l’horizon… A qui la faute ? Personnellement, j’ai du mal à ne pas associer ce passage à vide à un manque de vision et comme je le dis dans le titre : S’il n’y a pas de vision, il ne peut y avoir d’avenir… Exagéré ? Pas tant que ça. Que ferait un bateau aveugle qui dériverait ? Il finirait par s’éventrer sur un récif ou percuter un iceberg avec les conséquences que nous imaginons.
La seule solution dans ce cas réside dans un guidage, or ce guidage ne semble pouvoir venir que de l’extérieur : l’Europe ? La DFS [1], notre gros partenaire européen au sein du FABEC [2]?
Un peu d’histoire : les derniers grands succès
Il y a une bonne décennie de cela, nous avons assisté à de nombreuses améliorations.
- La mise en place de la ARNV3 a permis la mise en place de nouvelles routes, routes enfin libérées des carcans que constituaient les balises radio-électriques (VOR,VOR-DME,NDB, etc..).
- Le passage technique à ODS-Mat a, quant à lui, permis de passer d’une interface monochrome avec une forte rémanence où il était difficile de distinguer les limites de zones des limites de secteurs, et où se noyaient les plots à une interface couleur où les zones sont clairement différentiées des limites secteurs, où les plots ressortent avec des codages clairs : avions actuels ou à venir, vols en interaction avec ma zone de contrôle et enfin, vols qui ne me concernent pas du tout.
- Le RVSM continental a permis, au dessus de 29 000 ft, de réduire les espaces de 2000 ft à 1000 ft entre les avions. Cette amélioration largement européenne a permis d’augmenter les altitudes disponibles pour les avions entraînant un confort de gestion largement amélioré, une capacité améliorée et enfin, une optimisation énorme de la consommation des avions car ces derniers pouvaient se rapprocher beaucoup plus de leur niveau de vol optimal.
Et maintenant ?
Quelques améliorations ont été apportées ces dernières années mais les gains restent minimes :
- ODS-Base a remplacé ODS-Mat permettant de rajouter une petite couche logicielle mais aucune grosse avancée technique pour l’instant… EEE supposé arriver en 2013 ne peut satisfaire l’intégralité des besoins français. Il vivote et certains espèrent le sauver en le mettant en service dans les centres de l’Ouest (Bordeaux et Brest). 4-Flight, initialement prévu en 2015, n’arrivera, dans le meilleur des cas qu’en 2017 (hé oui, déjà deux ans de retard !)… Je passe sur les approches dont le système de l’avenir (SYSAT) reste encore à définir…
- Les réseaux de routes ou les volumes de contrôle ont continué à être ajustés? Cependant, nous ne parlons là que de modifications « mineures » : ré-aménagement de la desserte de certains aéroports, toilettage de certains espaces, redécoupage de certaines zones militaires pour tenter d’optimiser l’utilisation des espaces.
Mais les gros nuages noirs, ce sont l’humain et le financier…
L’humain parce que depuis le papy-boom, les effectifs ont plongé, phénomène prévu mais la mise en place de la RGPP[3] entre-temps a accentué cette baisse tant et si bien que l’effectif ne permet déjà plus de faire face au trafic…
En ce moment, les chiffres des délais[4] restent « raisonnables » car la crise implique un trafic relativement modeste mais à la moindre embellie, il y aura du soucis à se faire.
Le court terme, toujours et encore…
En dépannage de cet effectif réduit, il y a toujours le court terme. Exploiter tous les aménagements offerts dans les accords sociaux même si, parfois, ça pourrait impacter la sécurité. Là aussi les encadrements s’appliquent à « presser le citron ». Problème, mais il ne reste plus beaucoup de jus alors quelles sont les solutions ? Globalement, il y en a deux :
– recruter mais il faut avoir conscience qu’il faudra 5 années avant que ce recrutement ne porte ces fruits. Trois ans de formation plus deux années pour obtenir sa qualification sont nécessaires dans les plus gros centres…
– repenser en profondeur l’organisation du travail mais, là, le principal point d’achoppement, c’est le financier car, pour refondre à un tel niveau, ça nécessite des moyens financiers dont ne dispose plus la DGAC, surendettée[5].
Pourquoi un tel endettement ?
La principale raison : l’abandon de la péréquation des coûts et des redevances au début de la crise. Pour expliciter, il y a quelques années, les redevances étaient réajustées en fonction des coûts réels de l’Aviation Civile. Ainsi, si l’année était faste, le trop perçu de redevances était reversé aux compagnies aériennes. Par contre, en cas de pertes, les redevances étaient supposées être réajustées à la hausse.
Les années fastes, personne n’a rien trouvé à redire, voire, la DGAC s’est faite tancée pour rendre des excédents perçus. Avec la crise, le politique a décidé de ne plus ajuster à la hausse ses redevances provoquant des déficits aboutissant aujourd’hui à un endettement considérable. Face aux demandes de certains syndicats de rehausser les redevances, la réponse reste négative pour protéger une certaine compagnie… Difficile à imaginer quand on sait que plus de 80% des redevances sont payées par ses concurrents…
Le problème « avenir » ? à venir ?
En cette fin d’année, nous rentrons dans un « jeu » dont les règles sont fixées par l’Europe. Nous ne serons plus maîtres de nos redevances. Toute hausse pourrait faire l’objet de pénalités avec l’impossibilité de les rembourser via les redevances…
Pour résumer, nous avons :
- Un endettement important qui ne pourra bientôt plus être compensé par des redevances,
- Un refus d’augmenter les redevances pour protéger des intérêts privés,
- Un effectif en baisse ne permettant plus de faire face aux pointes de trafic mais qui permet encore de limiter la casse dans un contexte de crise,
- Un maintien de la politique de réduction des effectifs malgré des alertes répétées (21 suppressions dans loi de finance),
- Des recrutements très faibles (une trentaine par an) ne permettent pas d’espérer une amélioration des effectifs avant 4 ou 5 ans,
- Une absence d’évolution négociée permettant une refonte du « modèle social » qui prévaut actuellement permettant de faire face à une future hausse du trafic,
- Un manque de fonds permettant de négocier prochainement cette même refonte du modèle actuel.
- Un développement d’outils en perdition laisse peu d’espoir quant à une solution technique permettant d’absorber une future hausse du trafic,
- Un antagonisme très marqué entre les opérationnels et leur encadrement depuis 2009 laisse peu de marge à une démarche pro-active.
A ces neuf items, nous pourrions rajouter ce dixième, finalement le plus important, la désagréable impression de ne pas savoir où nous allons, comment nous y allons ni même pourquoi nous y irions. Il ne reste plus qu’à nous laisser dériver en tentant de ramer dans la direction qui nous semble être la meilleure. Bien sur, il reste à espérer que cela ne se finisse pas en galère.
- [1]Deutsche FlugSicherung : Le nom de l’équivalent allemand de la DSNA↩
- [2]Et surtout qui, elle, semble avoir une vision de l’avenir.↩
- [3]La RGPP pour Révision Générale des Politiques Publiques visait à réduire les effectifs en ne remplaçant pas un départ à la retraite sur deux en exploitant le papy-boom. Le problème de cette politique, tolérable si nous évitons tout dogmatisme, réside dans l’aveuglement lors de sa mise en oeuvre. Comme souvent, nous avons assisté à une réforme purement comptable. Au final, pas de redéfinition des missions, pas de simplification des procédures, pas d’évaluation des besoins réels actuels et futurs, etc… Autant dire qu’il faudra attendre encore quelques années pour en évaluer les dégâts réels.↩
- [4]Quand le contrôle aérien sature, il régule ce qui impose aux avions d’attendre au sol. Au final, les minutes de délais sont un des baromètres de l’état de santé d’un système.↩
- [5] Le choix historique d’un temps libre conséquent plutôt qu’une rémunération très élevée, exactement l’inverse du modèle Maastricht pris en exemple par notre légendaire Cour des comptes, a, en effet, des conséquences non négligeables et toute remise en cause induirait, assez logiquement un rééquilibrage financier impensable avec l’endettement actuel de la DGAC.↩