Il serait difficile de prétendre que les évolutions technologiques sont régulières et rapides dans le métier. La France a longtemps eu un rôle moteur mais elle semble plutôt à la traîne depuis quelques années. Pourtant au printemps 2022, le centre de Reims a basculé vers un nouveau système: 4-Flight. Et le 6 décembre 2022 aura été le tour du centre d’Aix-en-Provence…
Voici donc plus d’un an que nous travaillons sur ce nouveau système…
Un petit historique ?
Depuis de nombreuses années, les contrôleurs en-route travaillent sur un système appelé ODS (anciennement Phidias). Dès le départ, le système est supposé évoluer vers un environnement dit « stripless » (sans strip papier). Vers la fin des années 2000, cette grosse évolution, arrive au stade expérimental. Elle est nécessaire pour se conformer à certaines directives européennes mais surtout pour évoluer vers un standard qui équipe déjà pas mal de pays.
Au final, les expérimentations de ce système ne vont pas aboutir aux conclusions attendues. Le système testé, ODS-EEE[1], sera même à deux doigts d’être abandonné.
Au final, devant les divergences affichées par les différents centres, il est décidé que deux centres de contrôle, ceux de l’ouest (Bordeaux et Brest) continueront l’aventure EEE tandis que les autres centres se tournent vers une autre option voulue par la DSNA[2]: un système dit « sur étagère ».
Normalement, un système dit « sur étagère » est un produit déjà existant développé par un industriel du secteur. Dans les faits, après des expérimentations à Athis-Mons[3] et à Aix et Reims [4], ce sera finalement un nouveau système qui sera développé par l’industriel Thalès: le programme 4-Flight est né.
Une gestation longue et difficile
Initialement, la mise en service est prévue en 2014. Au final, ce sera de longues années de développement. Les années de retard vont donc s’accumuler. Entretemps, les centres de Brest et Bordeaux sont passés sur ODS-EEE, système qui a fait l’objet de plusieurs mises à niveau (cliquez ici pour avoir un aperçu).
Finalement, tout cela nous amène à une mise en service opérationnel au printemps 2022 à Reims.
Une première mise en service à Reims
4-Flight a été testé plusieurs fois en réel avant même la mise en service opérationnel. Ces expérimentations ont permis de valider, débugger, ajuster… Cela ne signifie pas que le système soit exempt de problèmes, loin de là. De nombreuses mises à jours resteront nécessaires pour arriver à un fonctionnement « normal »[5].
Novembre 2022 sera l’occasion de tester à plus grande échelle le système puisque le centre d’Aix se lance dans ses dernières expérimentations avant la mise en service. Le but reste de s’assurer, qu’aucun bug rédhibitoire ne subsiste et que la mise en service y est possible.
Le 6 décembre, la bascule sur 4-Flight est effective
Évidemment, ce changement aura des conséquences car des limitations de trafic seront nécessaires. Heureusement, la période de l’année aidera à en adoucir les conséquences. Décembre et janvier sont des mois traditionnellement creux dans la zone gérée. Une stratégie de remonté du trafic existe mais elle doit être confrontée à la réalité. Sur le papier, un retour à la normale est envisagée dès le printemps. Dans les faits, l’exemple rémois laisse penser que ça ne sera peut-être pas si simple[6]…
Et finalement…
Les débuts sur 4-Flight ont parfois été laborieux mais cela dépendait des gens. Certains se sont rapidement adaptés aux changements. D’autres ont eu plus de difficultés. Il faut quand même noter que le système n’a pas toujours aidé. Certaines limitations découvertes au fil de l’eau ont parfois largement entamé le capital confiance et l’intérêt du système. Accessoirement, certains des contournements proposés restent encore aujourd’hui discutables : saisir une information fausse pour contourner un bug a quelque chose de contre-intuitif dans ce métier.
4-Flight, un an après…
Plutôt favorable à cette évolution, mon point de vue ne peut être que biaisé. Malgré une impression plutôt moyenne sur l’outil, il semble difficile d’imaginer un retour arrière. Certains paramétrages ont corrigé des difficultés et la prochaine mise en service d’une version 2.0 devrait apporter son lot d’améliorations. Par contre, il ne s’agit pas de l’interface de « folie » vendue par certains. Et oui, plusieurs pays ont depuis des années un produit similaire… Les outils intégrés sont rares mais ont déjà été bien utiles.
Reste que, pendant les 8 années de retard du programme 4-Flight, les centres de l’ouest ont continué à faire évoluer leurs système ODS-EEE. L’annonce d’une bascule à marche forcée vers 4F de ces centres ne va pas sans y provoquer une certaine crispation voire une crispation certaine. Il faut dire que la bascule sur les versions existantes signifierait des régressions en matière d’outils.
Les prochaines étapes pour 4-Flight…
4-Flight version 2 sera bientôt déployée dans les centres qui disposent déjà du système. A l’automne, le centre d’Athis-Mons devrait basculer également sur l’outil. Cela était prévu au printemps mais la perspective des JO 2024 ne semblait pas propice à une bascule sans assurance d’un retour à la normale cet été. Il a donc été jugé plus prudent de repousser de quelques mois supplémentaires…
Quant aux centres de l’ouest, nous verrons bien comment cela va se passer…
- [1] Environnement Electronique ERATO, une évolution du système ODS mais avec une conversion au stripless et embarquant quelques outils complémentaires liés à une « brique » appelée ERATO↩
- [2] Direction des Services de la Navigation Aérienne, la branche en charge du contrôle aérien au sein de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC).↩
- [3] Expérimentations Acropole en 2009↩
- [4] Expérimentations EER1 et EER2 en 2010/2011.↩
- [5] La notion de normalité est délicate à définir selon le point de vue: experts sur 4F, encadrement, contrôleurs aériens, etc… L’idée reste de garder en tête que « normal » veut juste dire qu’il satisfait un certain niveau de sécurité sans qu’il ne soit parfait ou considéré comme « user friendly » par les utilisateurs finaux.↩
- [6] L’outil permet des gains qui varient selon les secteurs. Le problème reste quelques configurations de secteurs -comme les secteurs en basses couches- où la charge de travail induite par la gestion de l’interface peut être plus chronophage qu’avec les strips…↩